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Une solution en émergence dans un continent en pleine mutation
Le continent africain est aujourd’hui à un tournant économique et social. Avec une population jeune, une urbanisation rapide, une transition numérique dynamique et une explosion de l’entrepreneuriat, l’Afrique est en quête de modèles d’emploi plus souples, inclusifs et sécurisés. Dans cette mouvance, le portage salarial, encore méconnu il y a quelques années, commence à susciter l’intérêt des travailleurs indépendants, des experts techniques et des institutions.
Importé d’Europe, ce modèle hybride — à mi-chemin entre le salariat classique et l’indépendance répond à plusieurs défis spécifiques aux économies africaines : informalité massive de l’emploi, difficulté d’accès à la protection sociale, absence de cadre juridique clair pour les freelances, manque d’accompagnement administratif et financier. En 2025, des signaux positifs d’émergence du portage salarial sont perceptibles dans plusieurs pays d’Afrique francophone et anglophone, bien que son développement reste encore embryonnaire et hétérogène selon les contextes nationaux.
Pourquoi le portage salarial répond-il à un besoin spécifique en Afrique ?
1. Réduction de la précarité dans l’économie informelle
Selon l’OIT, près de 85 % des travailleurs africains évoluent dans le secteur informel. Ce mode de travail, souvent synonyme de flexibilité, reste aussi associé à une grande précarité : pas de couverture sociale, peu de garanties contractuelles, accès limité au crédit, difficulté à déclarer ses revenus. Le portage salarial apporte ici une réponse structurante en proposant un statut sécurisé, avec contrat de travail, couverture santé, cotisations sociales, accès au crédit et reconnaissance administrative.
Ce modèle permet aux consultants indépendants de facturer légalement leurs prestations, tout en bénéficiant des droits sociaux associés au salariat. Il sécurise également les relations avec les clients, en encadrant juridiquement les missions, la facturation et le paiement. À ce titre, le portage salarial peut jouer un rôle central dans la formalisation progressive de l’emploi indépendant.
2. Un levier pour l’employabilité des jeunes diplômés
Avec plus de 12 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail africain, l’emploi des jeunes représente un enjeu stratégique. Face au manque de débouchés dans le secteur public et à la saturation de certains marchés formels, de nombreux diplômés optent pour l’auto-emploi ou la prestation de services freelance (informatique, graphisme, conseil, rédaction, formation…).
Cependant, beaucoup d’entre eux rencontrent des difficultés à structurer leur activité, à fixer leurs prix, à contractualiser avec des entreprises, ou encore à accéder aux dispositifs de protection sociale. Le portage salarial représente un tremplin pour cette génération de travailleurs agiles et connectés, en leur permettant de lancer leur activité dans un cadre rassurant, sans créer d’entreprise ni subir la lourdeur administrative.
3. Une réponse aux besoins des entreprises locales et internationales
De nombreuses entreprises locales, start-ups, ONG ou institutions internationales implantées en Afrique font face à des besoins ponctuels en expertise technique, en gestion de projets, en digitalisation ou en ressources humaines. Le recours à des consultants indépendants est courant, mais il est souvent difficile de les intégrer dans un cadre légal clair.
Le portage salarial facilite cette relation contractuelle : il permet aux entreprises de sous-traiter légalement des missions, sans embaucher à temps plein, tout en bénéficiant d’un prestataire sécurisé, administrativement pris en charge par une société de portage. Ce modèle est aussi attractif pour les entreprises étrangères qui souhaitent sous-traiter à des talents africains sans passer par une création d’entité locale.
Des disparités entre pays : entre avancées concrètes et freins persistants
Le développement du portage salarial en Afrique varie considérablement selon les contextes juridiques, économiques et culturels. Certains pays, comme le Maroc, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, commencent à poser les jalons d’un cadre favorable. D’autres en sont encore au stade de la découverte du concept.
Pays pionniers et bonnes pratiques
Au Maroc, plusieurs plateformes de portage sont déjà actives, notamment dans les secteurs de l’IT, de la formation et du marketing digital. Le cadre juridique autour des auto-entrepreneurs a contribué à l’essor de modèles hybrides.
En Côte d’Ivoire, le portage salarial est encore en phase expérimentale, mais les premiers retours sont encourageants. Certaines structures proposent un accompagnement aux jeunes consultants, en partenariat avec des incubateurs et des bailleurs de fonds internationaux.
Au Sénégal, des réflexions sont en cours sur la création d’un statut intermédiaire pour les freelances. Le portage y est perçu comme un levier d’intégration économique, notamment pour les femmes et les jeunes.
Obstacles rencontrés
Malgré ces signaux encourageants, plusieurs freins limitent encore l’essor du portage salarial :
- L’absence de cadre légal clair dans la plupart des pays ;
- La méconnaissance du modèle par les autorités, les entreprises et les travailleurs eux-mêmes ;
- Les complexités administratives (déclarations fiscales, cotisations sociales, immatriculations) ;
- Une défiance culturelle vis-à-vis des modèles non conventionnels d’emploi ;
- Le manque de structures de portage expérimentées localement.
Une dynamique régionale encourageante en 2025
Des signaux positifs émergent. En 2023, l’Union africaine a lancé des travaux sur la modernisation des systèmes d’emploi et de protection sociale, avec une volonté de s’inspirer de modèles alternatifs comme le portage salarial. Plusieurs recommandations issues de ces travaux plaident pour l’intégration de formes de travail hybrides dans les politiques publiques d’emploi.
Parallèlement, de plus en plus de syndicats, d’ONG, d’incubateurs et d’acteurs de l’économie numérique s’intéressent à cette solution innovante. L’objectif : créer des ponts entre emploi indépendant et protection sociale, entre initiative individuelle et cadre structuré.
Certaines sociétés de portage européennes comme Umalis ou Light Portage, déjà implantées dans des pays africains, participent activement à cette dynamique. Elles proposent des offres adaptées au contexte local, en partenariat avec des structures locales, et jouent un rôle d’évangélisation du modèle auprès des jeunes, des incubateurs, et même des administrations.
Au-delà des institutions panafricaines, certaines initiatives nationales montrent également un intérêt croissant pour les formes d’emploi alternatives. En Afrique du Sud, par exemple, des discussions sont en cours pour encadrer le travail freelance, avec des propositions de loi visant à assurer un socle minimum de droits (accès à une assurance maladie de base, cotisations retraite volontaires). Le Rwanda, de son côté, a lancé un programme pilote d’accompagnement des freelances du numérique, intégrant des outils de facturation électronique et des modules de formation à la gestion administrative. Ces initiatives créent un environnement plus favorable au développement d’un écosystème autour du portage salarial.
Les incubateurs technologiques et hubs d’innovation, en pleine croissance dans des villes comme Nairobi, Accra, Dakar ou Abidjan, sont également des vecteurs importants pour la diffusion du modèle. En effet, ils accueillent de nombreux travailleurs indépendants en quête de structuration professionnelle, ce qui offre une porte d’entrée stratégique pour proposer des solutions de portage adaptées à des métiers créatifs, techniques ou liés au digital.
Vers un modèle africain du portage salarial ?
Il ne s’agit pas de calquer le modèle français ou européen du portage salarial à l’identique. L’Afrique doit inventer son propre cadre, en s’appuyant sur ses spécificités sociales, économiques et institutionnelles. Cela implique de réfléchir à une forme de portage plus inclusive, accessible à de petits prestataires, moins contraignante sur le plan fiscal, et intégrée dans les politiques d’emploi.
Plusieurs pistes sont évoquées :
- Créer un statut intermédiaire entre l’auto-entreprenariat et le salariat, incluant une couverture minimale et des droits à la formation ;
- Développer des coopératives ou des groupements de freelances en portage collectif ;
- Favoriser l’usage du numérique pour simplifier les déclarations, le suivi des missions et la gestion administrative ;
- Encourager les politiques publiques à inclure ces travailleurs hybrides dans les dispositifs de financement et d’accompagnement.
La question du financement de ces structures est également centrale. Les sociétés de portage opérant en Afrique doivent souvent adapter leur modèle économique : marges plus faibles, accompagnement renforcé, coûts de gestion élevés dans certains pays. Une piste envisagée est la mutualisation des ressources via des structures coopératives ou associatives. Par exemple, des groupements d’intérêt économique (GIE) pourraient être utilisés comme socle juridique dans plusieurs pays francophones pour regrouper des consultants sous un même parapluie administratif, tout en préservant leur autonomie.
Une autre perspective importante est l’intégration du portage dans les programmes de développement international. Des bailleurs comme la Banque mondiale, l’AFD ou des agences de coopération bilatérales pourraient soutenir ces initiatives dans le cadre de leurs stratégies de promotion de l’emploi décent. En finançant la formation, la structuration juridique ou les outils numériques nécessaires, ils contribueraient à renforcer durablement ce modèle sur le continent.
Conclusion
En 2025, le portage salarial en Afrique n’en est qu’à ses débuts, mais il s’impose progressivement comme une solution pertinente pour répondre aux défis de l’emploi indépendant, de l’entrepreneuriat informel et de la transformation des modèles de travail. En offrant un cadre sécurisé, souple et accessible, ce modèle peut contribuer à structurer un nouveau visage du travail en Afrique : plus agile, plus inclusif, plus connecté.
Pour accélérer cette évolution, les efforts doivent porter à la fois sur la sensibilisation des acteurs, la mise en place de cadres juridiques adaptés, et le développement de structures locales ou partenaires qui comprennent les enjeux de terrain. Le portage salarial pourrait devenir, dans les années à venir, un pilier de la modernisation du travail sur le continent africain, notamment pour les jeunes, les femmes, les experts techniques et les travailleurs de la diaspora.